Création médiévale par excellence, la
cloche rythmait la vie des gens et orientait leurs regards vers le présent
et vers le passé pendant plus de mille ans[1].
Si vous visitez La Salle des Bronzes du Musée du Louvre, vous vous rendrez compte
que vous êtes au cœur de la préhistoire antique et médiévale de la cloche (IXe
siècle av. J.-C. – VIe siècle ap. J.-C.), en
face de la polysémie historique du bronze qui est au fond d’un complexe
métonymique virtuel, d’un ensemble de métonymies réelles ou virtuelles, connues
ou inconnues. Vous vous rendrez compte aussi que les relations historiques
entre les différentes formes prises par le bronze constituent des relations
historiques de sens et que, dans le silence des formes historiques qui nous
sont parvenues, les relations de sens résonnent.
Le bouclier antique était « la
coupe d’Arès »[2].
Aussi ne serait-il pas exagéré de
dire que toute cette variété d’objets historiques – depuis les statues aux
dimensions très différentes jusqu’aux miroirs portés par des statuettes ;
depuis les armes et l’armure des hommes qui poursuivaient l’histoire dans tous
les temps jusqu’aux bijoux des femmes qui retenaient la même histoire au présent ;
depuis les plateaux de la balance jusqu’aux disques devenus support d’écriture
officielle ; depuis la cuisine jusqu’à la salle des fêtes et depuis l’eau
jusqu’au vin ; oui, toute cette variété que la présente énumération est
loin d’être en mesure d’épuiser – faisait partie de la synthèse artisanale,
artistique et mentale qui a transformé le bronze antique en cloche médiévale.
Et ce sont les relations entre cette
variété symbolique des bronzes de l’Antiquité gréco-romaine – qui, répétons
l’essentiel, allait du jour à la nuit et de la vie quotidienne à la vie
éternelle – et le texte de l’Évangile selon Jean qui, selon toute vraisemblance, étaient à l’origine de la
cloche. Au figuré et sans doute aussi à la lettre, la cloche était l’image de
leur fusion protectrice.
« Ensuite, sachant que tout
était déjà consommé, et afin que fût pleinement accomplie l’Ecriture, Jésus
dit : « J’ai soif. » Il y avait là un vase rempli de vinaigre.
Les soldats emplirent donc du vinaigre une éponge qu’ils fixèrent à une tige
d’hysope ; ils l’approchèrent de sa bouche » (Jn 19, 28-29). « Ensuite
ils s’approchèrent de Jésus. Le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les
jambes, mais de sa lance, un des soldats lui perça le côté, et il en sortit du
sang et de l’eau » (Jn 19, 33-34).
L’architecture du clocher – la forme
de la tour – évoque à sa façon l’histoire antique et
médiévale du bronze.
[1] Sans les ouvrages de Jacques Le
Goff et d’Alain Corbin cités plus haut, la rédaction du fragment que voici n’aurait
assurément pas été possible. Il
est vrai aussi que blessure est l’un
des synonymes de coup et de coupure, et que par le passé la lecture de Louis Althusser a considérablement
augmenté ma sensibilité envers les formes pratiques et théoriques de la discontinuité.
[2]
« …par exemple, le
bouclier, disons-nous, est la coupe d’Arès… », Aristote, Rhétorique, 1413 a, Tome Troisième, Livre III, texte établi et
traduit par Médéric Dufour et André Wartelle, Paris, Société d’Editions Les
Belles Lettres, 1973, p. 71.